Si le traitement de la douleur s’est beaucoup amélioré en France depuis la fin des années 1980, notamment grâce à la mise en œuvre de trois plans de lutte successifs, le combat est encore loin d’être gagné. Aujourd’hui, 12 millions de personnes souffrent de douleurs chroniques et 70 % d’entre elles ne reçoivent pas le traitement adéquat. A l’hôpital, faute de moyens suffisants et d’organisation des soins, la qualité de la prise en charge varie considérablement d’un établissement à l’autre.
La prise en charge de la douleur en France
A la fin des années 1990, alors qu’elle vient de lancer son premier plan national de lutte contre la douleur, la France fait figure de pionnière en la matière. En 2002, elle poursuit sur sa lancée en reconnaissant le soulagement de la douleur comme étant un droit humain fondamental. Mais aujourd’hui, près de vingt ans plus tard, notre pays « est en passe de perdre du terrain », avertit la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) dans son livre blanc publié en 2017. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « 12 millions de personnes souffrent de douleurs chroniques et 70 % d’entre elles ne reçoivent pas le traitement approprié », déplore la société savante. Entre 1998 et 2010 pourtant, les trois plans douleur successifs ont donné lieu à de grandes avancées, surtout à l’hôpital : l’arsenal thérapeutique a beaucoup évolué (avec notamment un recours plus fréquent à la morphine, en particulier chez les enfants), les unités de soins palliatifs se sont multipliées, des comités de lutte contre la douleur (Clud) ont été créés pour diffuser les bonnes pratiques auprès des soignants et le nombre de centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) est passé d’une centaine en 1990 à plus de 250 aujourd’hui.
Inégalités territoriales
Le hic, c’est que toutes les structures hospitalières ne se sont pas investies de la même manière. Chaque établissement reste libre de sa stratégie et des moyens à mettre en œuvre. Résultat : la qualité de la prise en charge varie considérablement d’un hôpital à l’autre et certains territoires manquent encore cruellement de ressources. Selon la SFETD, « plus de 60 % des patients admis aux urgences ont une douleur modérée à sévère et moins d’un sur deux reçoit un traitement antalgique à l’admission ». De leur côté, les douleurs du cancer restent insuffisamment traitées : selon l’Inca, elles sont présentes chez 53 % des malades et ne sont contrôlées que chez 5,6 % d’entre eux.
La responsabilité de ces situations incombe aussi beaucoup à la restriction des financements publics dédiés à la santé. « Le quatrième plan douleur, attendu en 2012 et qui devait apporter la dernière pierre à l’édifice, n’a jamais vu le jour, explique le docteur Frédéric Maillard, responsable du Centre national de ressource douleur (CNRD) à l’hôpital Trousseau de Paris. Il devait faire en sorte que les infirmiers libéraux, les pharmaciens et les médecins généralistes soient davantage sensibilisés et mobilisés sur la question. L’idée était ici de mieux prendre en charge la douleur aiguë en premier recours pour prévenir l’installation de la douleur chronique. » Il faut savoir qu’actuellement, sur les six années d’études médicales de deuxième cycle, moins de vingt heures sont consacrées à la douleur, alors qu’il s’agit d’un phénomène particulièrement complexe.
Expérience à la fois sensorielle et émotionnelle
Selon la définition officielle de l’Association internationale pour l’étude de la douleur, celle-ci est une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite dans ces termes ». Elle est donc subjective et repose avant tout sur le ressenti du patient. D’où la difficulté à l’évaluer et à la prendre en charge. C’est notamment le cas pour les douleurs chroniques qui résistent aux traitements habituels. Dans ces cas-là, « le système d’alarme s’emballe et devient hyperexcitable, précise le docteur Maillard. Des informations qui devraient être modérément douloureuses peuvent devenir insupportables ». Le patient doit alors être adressé à un CETD, pour une prise en charge globale et multidisciplinaire associant traitements médicamenteux, techniques physiques (stimulation magnétique transcrânienne, kinésithérapie, activité physique modérée) et psychocorporelles (relaxation, méditation, hypnose). Malheureusement, ces centres, qui ont largement fait leurs preuves, manquent de moyens, et les délais d’attente atteignent désormais plusieurs mois. « Les financements ne suivent pas, dénonce la SFETD. La douleur est délaissée par les pouvoirs publics depuis des années. Si rien n’est fait, au moins 30 % de ces structures disparaîtront. » Un véritable désastre pour les patients dont la douleur impacte considérablement la qualité de vie.