Dans son livre La fabrique du crétin digital, Michel Desmurget, docteur en neurosciences et chercheur à l’Inserm, lance un cri d’alarme sur les dangers des écrans pour nos enfants. Il nous explique comment l’usage excessif des outils numériques récréatifs nuisent à la santé, au comportement et aux capacités intellectuelles des jeunes.
Vous dénoncez l’idée selon laquelle les digital natives, cette génération du numérique née dans les années 2000, seraient des êtres à part, experts dans les nouvelles technologies…
Tous les chercheurs s’accordent à le dire aujourd’hui : le concept de digital native ne repose sur rien. Cette affirmation selon laquelle l’omniprésence des écrans aurait créé une nouvelle génération d’êtres humains mutants ultracompétents en matière de numérique, capables de réaliser plusieurs opérations simultanément et de gérer d’immenses flux d’informations est complètement ridicule. Rien n’indique non plus que ces jeunes sont, comme on a pu l’entendre, plus créatifs que leurs aînés, plus rapides et mieux adaptés au travail collaboratif. Au contraire. Leur consommation est en quasi-totalité centrée sur les écrans récréatifs : clips, séries, films, jeux vidéo et réseaux sociaux. Même s’il n’est pas question de rejeter le numérique dans son ensemble, on voit bien que ce ne sont pas ses aspects positifs qui sont utilisés par les jeunes. Un rapport récent de la commission européenne explique d’ailleurs que l’un des principaux freins à la numérisation scolaire est justement leur faible compétence informatique. Non seulement ils n’ont pas d’aptitude technologique particulière mais en plus, comme le souligne une étude de Stanford, leurs capacités à naviguer sur le net, à trouver des informations et à les comprendre sont tellement défaillantes que cela représenterait « une menace pour la démocratie » !
Les études que vous décrivez montrent que les outils numériques « affectent l’acquisition du langage », « favorisent les troubles de l’attention et de la concentration » et qu’ils ont un impact négatif sur les résultats scolaires et la créativité. Comment expliquer de tels effets ?
Avant tout, il faut réaliser l’incroyable ampleur du temps consacré par les nouvelles générations aux écrans récréatifs. Entre l’âge de 2 et 5 ans, on est à presque trois heures par jour en moyenne. Chez les ados, on frise les 7 heures. C’est astronomique ! Or, tout ce temps passé sur les écrans, c’est du temps volé à d’autres occupations plus stimulantes et favorables au développement : les interactions intrafamiliales, qui sont absolument fondamentales, mais aussi la lecture, les jeux créatifs, les devoirs ou encore les activités artistiques et physiques. Les écrans détournent l’enfant des expériences et des apprentissages essentiels qui vont lui permettre d’apprendre à parler, à réfléchir, à maintenir sa concentration, son attention, à faire des efforts, à hiérarchiser les informations, etc.
A côté de ce temps volé, il y a aussi des atteintes plus directes. Le cerveau d’un enfant bombardé d’images et de son se construit mal. Il éprouve une véritable souffrance physiologique ; ce que plusieurs études récentes confirment expérimentalement chez l’animal. Pour se construire de manière optimale, notre cerveau a besoin de calme.
Les écrans ont également des effets majeurs sur le sommeil : si vous êtes exposé avant d’aller vous coucher, non seulement vous vous coucherez plus tard, mais la qualité même de votre sommeil sera affectée. Par ailleurs, la lumière des écrans perturbe la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil. Au final, vous avez du mal à vous endormir, vos nuits sont réduites et vous êtes davantage sujet aux réveils nocturnes. Et quand le sommeil est altéré, la maturation cérébrale, la mémorisation, les facultés d’apprentissage, la santé et le fonctionnement intellectuel diurne sont perturbés.
Que pensez-vous de la numérisation de l’école ?
Le numérique à usage scolaire n’est pas un problème si on l’utilise pour apprendre aux enfants comment marche un ordinateur, comment coder, ou comment utiliser un moteur de recherche. Mais ce n’est pas ce que l’on fait. On utilise le numérique pour remplacer l’humain et enseigner, par exemple, les maths ou le français. Or, un enseignant compétent fait alors toujours mieux qu’un programme informatique. Les études montrent que les cours en ligne fonctionnent uniquement pour une infime minorité d’étudiants déjà compétents et très motivés. Pour le commun des mortels, c’est un désastre. D’après certains travaux, plus les États investissent dans la numérisation scolaire, plus la performance des élèves chute. On apprend infiniment plus vite et plus profondément avec un être humain parce que notre cerveau réagit plus intensément à la présence humaine réelle. En réalité, on a bien compris que la logique était ici économique. La numérisation scolaire aide surtout à résorber l’ampleur des dépenses éducatives et les difficultés récurrentes de recrutement des enseignants.
Vous dites que cette surconsommation d’écrans peut être combattue efficacement avec des règles strictes imposées par les parents. Quelles sont ces règles ?
Déjà, avant d’imposer des règles, il faut impliquer les enfants et leur expliquer la raison des règles proposées. Il faut leur dire que ces écrans récréatifs abîment le cerveau, pourrissent le sommeil, altèrent les résultats scolaires ou accroissent les risques d’obésité. Les enfants sont capables de comprendre. Ensuite, les règles sont simples : avant 6 ans, l’idéal, c’est aucun écran (ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas, de temps en temps, regarder un dessin animé avec ses enfants). Ce n’est pas parce qu’un enfant n’est pas précocement exposé aux écrans qu’il deviendra un handicapé du numérique. Après 6 ans, si les contenus sont adaptés et si le sommeil est respecté, on peut aller jusqu’à une demi-heure voire une heure par jour sans influence négative notable. Après, évidemment, pas d’écrans le matin avant d’aller à l’école, pas d’écrans le soir avant de se coucher et pas d’écrans dans la chambre. Vous pourrez ainsi mieux contrôler le temps d’exposition et garder un œil sur les contenus.
Enfin, il me paraît difficile de dire à son enfant que les écrans posent problème lorsque l’on est soi-même constamment branché sur son smartphone. Il n’y a que du positif à réduire l’usage récréatif de toute la famille, ne serait-ce que pour préserver les interactions parents-enfants.
Par Aliisa Walteri, France Mutualité n°599